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Être sujet et objet

par François Brooks

Tout ce qui existe pour moi, à l'extérieur de moi, est objet. Tout ce que je peux objectiver, c'est-à-dire percevoir, je le vois comme quelque chose qui m'est accessoire et que je peux utiliser à mon propre profit. La table, le stylo dont je me sers, mais aussi les personnes.

 

Pour les choses qui m'appartiennent, c'est le plus facile, je peux en disposer comme bon me semble en toute liberté. Pour les choses qui ne m'appartiennent pas, moyennant que je les loue ou que je les achète, je peux aussi en disposer comme bon me semble.

 

Pour les personnes, c'est un peu plus compliqué, mais avec doigté, ma volonté peut faire en sorte de les convaincre, à force d'arguments, de gentillesse, de salaire ou même par la force, de se mettre à la disposition de ma volonté. C'est ainsi que je peux considérer les personnes que je rencontre comme des objets.

 

Moi-même, je suis mon propre objet. Je peux utiliser mon corps comme bon me semble. Je peux me dorloter, travailler, paresser, me négliger ou même me suicider. Mais puisque toutes mes perceptions m'affectent, je suis aussi sujet. Voilà bien la particularité étrange de mon être : c'est que je suis à la fois objet et sujet. J'utilise mon corps pour faire ce que bon me semble, mais ce corps que je suis est sujet à tous mes états d'âme et ces états m'affectent.

 

Mon rapport à moi-même est une chose curieuse. Ma condition d'existence personnelle a ceci de curieux que je me ressens en même temps comme sujet et objet. Alors que mon rapport avec tout ce qui m'est extérieur est simple, mon rapport à moi-même est double.

 

Des choses extérieures, mon esprit en a une connaissance abstraite, imagée, objective. Les choses que je perçois par mes sens créent en moi une impression. Cette perception, dès l'instant qu'elle s'effectue, le filtre de mes sens la rend subjective. Mon esprit, par association et mémoire, va transformer la connaissance immédiate de l'objet que je rencontre en impression subjective dont tout m'appartient. C'est comme si je ne pouvais jamais percevoir les choses extérieures à moi telles qu'elles sont. Même moi, j'ai sans doute une image complètement différente de l'objet que je suis dès l'instant que je me perçois à la manière d'un objet extérieur.

 

Être, c'est curieux!