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Déterminisme et liberté[1]

par François Brooks

Si je fais une bêtise, j'aurai tendance à me déculpabiliser en disant que ce n'est pas de ma faute, que le destin y était pour quelque chose et que, compte tenu de mon éducation, de mes limitations personnelles et des influences sociales qui ont agies sur moi à mon insu, je ne pouvais pas faire autrement. Donc, on ne peut pas me punir ni me tenir responsable de mes erreurs sans commettre une autre erreur. Le déterminisme est une façon de voir les choses qui me donne la paix d'esprit.

 

Par contre, si je réussis une bonne affaire, j'aurai plutôt tendance à m'enorgueillir de ma réussite en prétendant que j'ai été l'artisan de mon succès, qu'il aurait pu en être autrement mais, par mes choix judicieux, j'ai utilisé ma liberté à bon escient pour que les événements se déroulent comme je l'avais prévu.

 

Devant une telle attitude, je pense que vous auriez raison de vous méfier de moi. Vous risqueriez, à me fréquenter, d'avoir à supporter les écueils de certains de mes actes et vous seriez sûrement ennuyé lorsque je vous raconterais mes « exploits ».

 

Peut-être auriez-vous avantage à fréquenter quelqu'un qui se frappe lorsqu'il fait des bêtises et qui reste modeste devant ses réussites. Aussi, si cette même personne vous excuse facilement pour vos erreurs et ne manque pas de vous féliciter pour vos réussites, vous aurez un ami très agréable.

 

Mais qu'en est-il véritablement de mes actes? Est-ce que je ne suis qu'un rouage de cette immense machine qu'est la vie? Mes gestes sont-ils causés par un ensemble de facteurs déterminants qui se sont produits bien avant mon existence et sur lesquels je n'ai pas vraiment d'emprise? Ou bien suis-je libre de faire ce que bon me semble, de choisir mon avenir et de poser les gestes qui vont me mener vers un futur voulu et prévisible?

 

Gombrowicz dit que le déterminisme, c'est le passé et la liberté, l'avenir. Nous vivons dans le moment présent, là où la limite des deux philosophies que sont le déterminisme et la liberté se rencontrent. Il est évident que rien ne peut être changé dans les événements que nous avons vécus. Ils appartiennent au passé ; ils sont déterminés. C'est-à-dire qu'on peut les examiner et les justifier en remontant le cours des causes et des effets qui les ont produits. Par contre, puisque nous pouvons agir délibérément, nous pouvons essayer de poser les gestes qui vont devenir la cause de certains résultats futurs. Ainsi, nous pouvons être l'artisan de l'avenir. Il est entendu que nos gestes sont limités par les circonstances qui nous entourent. Mais il est rare qu'une seule possibilité s'offre à nous. Nous avons donc certains choix possibles. Prendre son avenir en main, c'est comme la respiration. Cette dernière peut être consciente mais toute une vie peut se dérouler sans avoir pensé une seule fois à respirer.

 

Mais est-il préférable de prendre ma vie en main ou de me laisser porter par les événements? Je n'en sais rien. Je pense que c'est la nature de chaque personne qui le détermine.

 



 

[1] Texte inspiré de ma lecture du livre de Witold Gombrowicz, Cours de philosophie en six heures un quart, Éditions Payot & Rivages, © 1995