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Raisonnement humain : pensée linéaire et circulaire

par François Brooks

Il me semble qu'il n'existe, à la base, que deux types de raisonnements humains possibles à partir desquels dérivent tous les autres

 

Le premier, je l'appellerais raisonnement linéaire. C'est le raisonnement causal généralement admis partout en sciences, en logique et dans la vie courante. C'est le plus évident, c'est celui qui satisfait le plus facilement notre compréhension.

 

Par exemple, si j'essaie de comprendre des faits, je vais en chercher la cause :

*   Pourquoi pleut-il?

À cause de la vapeur d'eau condensée qui tombe des nuages.

*   D'où vient l'homme?

Il est l'aboutissement d'un long processus biologique.

*   Comment fabriquer une pirogue?

1.     Se procurer des outils coupants

2.     Couper un arbre

3.     Vider le billot de telle sorte qu'il devienne creux

 

Ces réponses sont claires et satisfont rapidement notre curiosité. C'est le fast-food de la compréhension. Il a un point de départ et un point d'arrivée.

 

 

C'est un raisonnement ouvert. De cause à effet, il permet d'expliquer le monde mais il comporte des limites auxquelles notre esprit se bute. Si on cherche la cause première, ce genre de raisonnement n'aboutit nulle part. De ‘pourquois' en ‘comments', la cause première finit par nous échapper et c'est alors que le concept de Dieu vient à la rescousse pour donner à notre esprit une cause ultime qui appuiera tous nos raisonnements. C'est l'origine des origines qui, en soi, n'a pas d'autre origine qu'elle-même à soi. Ce concept ‘Dieu' est utilisé aussi bien en religion, en philosophie, en métaphysique et même en science sous les formes symboliques du zéro et de l'infini.

 

Le deuxième type de raisonnement est plus délicat. C'est le raisonnement circulaire. Il tourne en rond. Il fait une boucle, il se mord la queue. Dans ce raisonnement, la cause d'un effet est elle-même l'effet de l'effet qu'elle cause. On peut presque dire qu'elle est à elle-même sa propre cause.

 

 

C'est un raisonnement fermé.

 

Un exemple : Qui de l'œuf ou de la poule est-il apparu le premier? L'un et l'autre s'engendrent mutuellement. Il est impossible de répondre à cette question. Autre exemple : Qu'est-ce qu'un objet? C'est ce dont un sujet se sert. Et qu'est-ce qu'un sujet? C'est une liberté qui peut utiliser des objets à sa guise.

 

Ici, notre esprit se bloque, il s'échauffe. Ce raisonnement sort de la logique confortable du raisonnement linéaire. Le raisonnement circulaire est généralement exclu en sciences parce qu'il fait « sauter les fusibles ». Il se fonde sur une logique trop simple ; il n'explique rien. Pourtant, c'est un fait que l'œuf et la poule s'engendrent mutuellement. C'est un fait que sujet et objet ne pourraient être conceptualisés l'un sans l'autre.

 

Dans ce type de raisonnement, le concept de Dieu devient inutile puisque les faits s'expliquent d'eux-mêmes par leur seule coexistence opérationnelle. Je dirais même que ce raisonnement n'en est pas vraiment un puisqu'il sort du cadre cause-effet pour s'imposer tout simplement par une boucle opérante. On n'a plus besoin de chercher les causes, « ça marche! ».

Comme la droite et la courbe sont les éléments de base de la géométrie, les pensées linéaire et circulaire sont la base de tout raisonnement humain. Avec deux matériaux complémentaires, on peut bâtir des mondes dans tous les registres : bien-mal, blanc-noir, haut-bas, matière-esprit, déterminisme-liberté etc. Einstein avait démontré que l'espace n'était pas infini mais courbe et qu'il boucle sur lui-même. En serait-il de même avec notre esprit? De même que notre esprit se contente facilement de raisonnements linéaires, les raisonnements en boucle pourraient-ils en être la structure de base? Ainsi, l'espace et tout le reste ne seraient-ils rien d'autre que ce que notre esprit a la possibilité de concevoir... des complémentarités opposées?