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La peur de souffrir

par François Brooks

Si la peur de souffrir est, en soi, une souffrance, celui qui en est affublé est condamné à souffrir. Aucune issue n'est possible. Lorsqu'il ne souffre pas, sa peur lui tient lieu de souffrance, et lorsqu'il souffre, bien sûr, il souffre. Encore pourrait-il se décider à vaincre sa souffrance, mais pour cela, il lui faudrait l'affronter, lui dire oui, la vivre, l'apprivoiser. Mais là aussi, il devra souffrir. La peur de souffrir, c'est l'enfer total où il n'y a pas d'issue : c'est une souffrance de veille quand on ne souffre pas.

 

Peut-on alors affronter la souffrance avec sérénité? Si la souffrance pouvait être agréable, nous pourrions nous affranchir de l'inconvénient qui nous rebute : le malaise. En effet, quel désagrément y aurait-il à souffrir si ça nous plaisait? Aucun. Bien au contraire. Du coup, la peur disparaîtrait et la souffrance serait vécue avec sérénité.

 

Comment faire que la souffrance ne soit pas désagréable? Ou mieux, comment la percevoir comme agréable? Les sado-maso ont peut-être quelque chose à nous apprendre.

 

Gervaise nous dirait : « Il faut dire oui à la vie, inconditionnellement! Oui à  la souffrance et oui à la jouissance. Voilà la solution. » Cependant, je doute que sous la torture, elle tienne le même discours rationnel. Qui aime souffrir, à part les masochistes que l'on tient pour un petit groupe de pervers désaxés. Il faut savoir que dans leur cas, la douleur déviée dans le sexe n'est pas douleur mais jouissance.

 

Pour ma part, j'ai ma colère, ma haine, ma révolte pour me protéger de ma peur. Si on me fait souffrir, je pourrai hurler, fustiger, dénoncer, somme toute, agresser en retour. Mais là encore, je suis loin de la sérénité. Tout au moins, ai-je pu ainsi m'affranchir de ma peur de souffrir. Et pourtant, la menace d'agresser ne témoigne-elle pas d'une peur déguisée?