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Quatre conditions pour profiter de la consultation philosophique

par François Brooks

1. D'abord vider sa tasse de thé

2. Ni tyrannie ni polémique ni bavardage mais compréhension

3. Ni contrainte ni spectacle mais engagement libre et actif

4. La consultation ne peut être gratuite

* * *

1. D'abord vider sa tasse de thé

Scott connaît l'art de la poterie qu'il pratique aux États-Unis. Il est venu étudier les méthodes d'un maître-potier japonais d'expérience. Il s'avère que cette intention en cachait une autre : celle de montrer la supériorité de sa méthode sur la technique enseignée par le vieux maître. Était-il disposé à apprendre ? [1]

Pour apprendre, il faut d'abord se mettre à la disposition du maître en mettant de côté nos propres connaissances pour accueillir les siennes. Il ne s'agit pas de les renier ni les oublier mais simplement les mettre en veilleuse temporairement le temps de comprendre et d'intégrer l'enseignement. Le bouddhisme zen l'illustre avec la métaphore de la tasse de thé trop pleine qu'il faut d'abord vider. [2]

La consultation n'est pas un entassement de savoir, c'est au contraire travailler à mettre en valeur le meilleur de soi-même. Peut-on ajouter la qualité sans se défaire du superflu encombrant ?

2. Ni tyrannie ni polémique ni bavardage,
mais compréhension

Une consultation juridique, architecturale, médicale ou philosophique n'est valable que dans la mesure où l'on reconnaît l'autorité du conseiller. On peut bien sûr remettre en question cette autorité et la questionner ; d'ailleurs, le philosophe Alain nous le recommande en disant « penser, c'est dire non » ; mais il est inutile de se concentrer sur la résistance et lui donner toute la place. La philosophie n'est pas une arme de combat, mais un outil de compréhension.

Il est difficile de suspendre nos opinions mais la consultation doit échapper au discours dogmatique, à la polémique et au bavardage inutile. Freud affirme que : « L'analyse ne se laisse pas employer comme une arme de polémique ; elle suppose le consentement de la personne dont on veut faire l'analyse et, entre l'analyste et l'analysé, des rapports de supérieur à subordonné. [3]» Mais la supériorité consentie au consultant n'est pas l'adhésion aveugle à une domination tyrannique, elle engage une responsabilité envers le client. Quand on s'adresse au juge en cour en l'appelant « Votre Honneur », c'est avant tout pour le conjurer à mériter son titre.

3. Ni contrainte ni spectacle,
mais engagement libre et actif

 La consultation philosophique est une forme de coaching privé qui s'apparente à l'enseignement. Le conseiller offre des outils philosophiques qui permettent au client de s'ouvrir à des perspectives étonnantes sur lui-même et sur le monde. Elle n'est pas un spectacle mais un travail de conquête de soi. Le spectacle est le contraire de l'action ; il impose essentiellement une attitude de soumission passive à une autorité sans réplique qui remplit le champ de vision (Debord).

L'idée d'un apprentissage obligatoire, qu'il s'agisse du programme de l'Éducation nationale ou du désir de se conformer à une mode, contient un frein intrinsèque. La motivation atteint son maximum lorsque l'apprentissage est librement consenti et provient d'un désir personnel.  John Dewey nous dit que l'élève doit passer du statut d'objet de l'acte d'enseigner à celui de sujet de l'acte d'apprendre. Un esprit contraint n'est qu'à demi disponible. Une partie de l'énergie psychique s'engage à combattre la tyrannie qui l'oppresse. La consultation doit être un engagement actif librement consenti et non une contrainte subie passivement. Elle demande des lectures, des auditions, des visionnements et des expériences pratiques qui passent par la réflexion et la sculpture de soi (Michel Onfray).

4. La consultation ne peut être gratuite

La contrainte financière est au cœur du processus consultatif. Pour être estimée, une chose doit coûter. Gurdjieff dit pourquoi : «...j'ai vraiment trop peu de temps pour le sacrifier aux autres, sans même être sûr que cela leur fera du bien, j'apprécie beaucoup mon temps, parce que j'en ai besoin pour mon propre travail, parce que je ne peux pas, et, comme je l'ai déjà dit, parce que je ne veux pas le dépenser en vain. Et il y a une dernière raison : il faut qu'une chose coûte pour qu'elle soit estimée. [4]» Il explique plus loin que l'attitude envers l'argent est très révélatrice de ce que les gens sont. Le comportement qu'ils adoptent par rapport aux honoraires indique immédiatement s'ils sont en mesure de bénéficier des services rendus : « Rien ne montre mieux les gens que leur attitude envers l'argent. Ils sont prêts à gaspiller tant et plus pour leurs fantaisies personnelles, mais ils n'ont aucune appréciation du travail d'un autre. [5]»

[1] Extrait du film Kamataki de Claude Gagnon, (Filmoption International © 2006).

[2] La mise en scène est inspirée de la célèbre fable suivante :

Nan-in, un maître japonais vivant à l'ère Meiji (1868-1912) recevait un professeur d'université venu s'informer sur le Zen. Nan-in servait le thé. Il remplit la tasse de son visiteur, et continuait néanmoins à verser. Le professeur regardait sa tasse déborder, et ne put se contenir plus longtemps : « Elle est pleine, et ne peut en contenir davantage ! » Alors Nan-in dit : « Comme cette tasse, vous êtes plein de vos propres opinions et spéculations. Comment puis-je vous montrer ce qu'est le Zen si vous ne videz pas d'abord votre tasse ? »

(A Collection of Zen & Pre-Zen Writings, New York, Anchor Books, Doubleday & Company, traduction française, Le Zen en chair et en os, Paris, Albin Michel, 1993. Extrait du texte de Françoise Bonatrel, Existence et vacuité selon Sartre et le bouddhisme zen publié sur le site Un zen occidental (Page consultée le 17 février 2012))

[3] Freud, Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique in Cinq leçons sur la psychanalyse (1909), Petite Bibliothèque Payot # 84, p. 130.

[4] Ouspenski, Fragment d'un enseignement inconnu, Éditions Stock © 1949, p. 30.

[5] Ibidem, p. 240.

Philo5
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