Cogitations 

 

François Brooks

160905

Essais personnels

 

Sous les jupes des filles

 

Quatre jambons pendus au même clou, voilà l'amour ! Aller se fourrer entre la vessie et le rectum, entre l'urine et quelque chose de pis, voilà l'amour !

Voltaire

Petite fille encore, étendue sur l'herbe, Baia se concentre sur la photo qu'elle va prendre. Sa jupe de dentelle noire révèle juste assez des formes encore potables, et cache à peine les 49 ans d'une peau défraîchie. Clic ! Je croque l'image. « T'as photographié sous ma jupe !? » Mi-reproche, mi-question ; ai-je encore ce qu'il faut pour séduire ? semble-t-elle dire. Pourtant, mon attention est ailleurs. Je me réjouis de la ravissante petite Alice qui s'émerveille de ce magnifique jardin de verdure qu'elle s'évertue à stocker dans sa boîte à images. Elle est simplement mignonne ; trop jeune et trop vieille pour m'érotiser, mais elle éveille ma tendresse. La lucidité de Souchon me sortit de cette maladresse. « De nos jours, il n'y a rien à voir sous les jupes des filles [1], Baia. C'est un jeu de dupes. L'anatomie féminine est la chose la mieux connue du monde... »

Alors pourquoi le regard des garçons procède-t-il toujours ainsi ? Toujours, la magie opère : avant de regarder le visage, je commence par voir si la forme du cul vaut le détour. Certaines savent si bien valoriser leur égout. Si les femmes marchaient sur les mains, cul nu — la jupe voilant le visage — on comprendrait que Voltaire a tout dit sur l'amour. TOUT DIT ? Non, tout DÉVOILÉ ! L'amour est dans le désir ; il faut voiler l'objet du désir pour que la convoitise opère. Par quelle magie un égout pourrait-il susciter tant d'intérêt ?

Le bouillant débat entourant le hijab en Occident illustre à mon sens l'importance du voile. Sans voile, l'esprit est inopérant, on n'y voit que l'organe fonctionnel et dégoutant. Le burkini est mille fois plus érotique. C'est la none qu'on veut déshabiller ; la pute nous laisse indifférents. Le défilé de mode de Hussein Chalayan (1998) a montré l'évidence. Le bikini ne cache que les orifices ; l'Occident voudrait réduire l'érotisme du corps à l'égout. La fonctionnalité de l'organe cache l'être ; il faut le voile pour révéler la fonction érotique, dirait Heidegger. Ainsi, le Moyen-Orient augmente l'érotisation du corps à mesure qu'il en voile la surface. On voudrait en faire un enjeu politique alors qu'il s'agit essentiellement d'érotisme. Si l'éternel féminin n'y voyait pas son avantage, pourquoi certaines musulmanes défendraient-elles le voile avec tant de vigueur ?

Marjane Satrapi [2] déclare n'avoir jamais tant fêté, bu et dansé qu'à Téhéran sous un régime d'interdictions qui stimule évidemment le désir. Sous le manteau, on peut tout acheter  ; la censure n'empêche rien, au contraire.

L'islam nous oblige à examiner plus attentivement notre attitude paradoxale. Contrairement à ce que l'on croit, n'apportait-il pas finalement un surplus d'érotisme dans un Occident saturé de sexe ? Comment, en effet, lorsqu'on a tout montré et tout permis, pourrait-on réérotiser le peuple blasé d'excès lubrique ? Peut-être Makwanda l'illustre-t-il mieux que tout autre lorsqu'il qualifie cet érotisme plus torride que jamais : Dans le four.

Au bout du compte, le voile islamique nous oblige à prendre conscience que dans une société misant tout sur le visuel, l'érotisation se fait au prix de la privation du regard.

[1] Alain Souchon, C'est déjà ça, Parlophone © 1993.

[2] Marjane Satrapi est l'auteur de Persepolis, © 2007.

Philo5
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