Cogitations 

François Brooks

120425

Essais personnels

 

Grève étudiante

 

Tu dis vouloir la révolution
Nous voulons tous changer le monde
Tu ferais mieux de te libérer l'esprit

John Lennon, Revolution, 1970

Difficile de prendre parti dans cette grève. Chaque fois que j'écoute le discours de l'un ou l'autre adversaire, il arrive à me persuader du bien-fondé de ses revendications. L'idéologie me semble aussi bien ficelée d'un côté comme de l'autre. Comment s'y retrouver ? J'ai l'impression d'être en présence de personnes maîtrisant brillamment la pensée de Zénon d'Élée. Nous savons bien qu'Achille rejoindra la tortue même si le discours nous convainc du contraire. Mais peut-on vivre dans le paradoxe ? Ne faut-il pas prendre position ?

De prime abord, j'avais tendance à voir les étudiants québécois comme des bébés gâtés. Ils s'insurgent contre une augmentation des frais de scolarité apparemment ridicule comparés à ceux qu'on pratique aux États-Unis ou dans le reste du Canada, la rumeur voulant qu'ailleurs l'étudiant accumule une dette universitaire entre 20 000 $ et 60 000 $, et heureux d'y parvenir vu le contingentement sévissant partout. Ici, les frais ne seront que de 3 793 $ lorsqu'ils auront été graduellement haussés de 325 $ par année pour les cinq prochaines années. Une dette potentielle de moins de 12 000 $ pour le Québécois bachelier. Comment justifier le mécontentement ?

L'article 40 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec leur donne pourtant raison : « Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite. » L'immense soulèvement populaire en leur faveur n'est-il pas légitime ? Quand cette Charte fut entérinée en 1975 par notre gouvernement n'avons-nous pas posé un choix démocratique qu'il importe aujourd'hui de défendre ?

* * *

Le nouveau-né n'a pas demandé à naître. On l'introduit gentiment dans un monde feutré qui lui épargne toute douleur. On érige une multitude de remparts le protégeant systématiquement de tout désagrément. À l'abri du froid, de la faim, des dangers, on protège ses biens, on lui prodigue gratuitement les soins de santé et on l'instruit dès l'âge de six ans sans rien exiger d'autre que sa présence à l'école. Il n'est même pas tenu de réussir le programme académique. Grandissant dans une atmosphère feutrée doit-on s'étonner qu'il fasse tout pour préserver l'état fœtal ? Arrivé en classe supérieure le chat sort du sac : on lui dit maintenant que la gratuité de l'éducation est terminée et qu'il devra payer l'héritage inversé légué par ses parents et aïeux. Il comprend alors que ce beau monde feutré l'oblige à se conformer à des règles qui décident tout à sa place. Non seulement il n'a pas choisi de naître, mais le voilà programmé pour toute son existence à travailler dans un système rigide. Et s'il veut y changer quoi que ce soit, il devra passer par d'incalculables méandres politiques dont les règles sont si bien établies qu'il faut au moins une génération avant de pouvoir modifier quoi que ce soit.

En fait, l'étudiant au seuil de la vie se rend compte que « les vieux » ont tout bricolé avant lui pour l'asservir docilement et qu'il n'a d'autre choix que de mettre ses rêves de côté pour se conformer à l'ordre travailleur d'un ennui mortel. Il s'insurge donc, animé par l'esprit de liberté que nos chartes lui garantissent. Et comme une grande partie de la population a été bernée de manière semblable, d'autres groupes emboîtent le pas. Professeurs, administrations, médias, syndicats lui font la révérence et admirent un mouvement que d'aucuns n'ont désormais plus la liberté de déclencher. Le carré rouge épinglé à la poitrine nous fait rêver pendant que l'on s'est voté une récréation dont la fin va bientôt sonner.

Hé oui ! Comme nous vivons dans une réalité mondiale qui fixe les règles du jeu, comment pourrions-nous faire un pied de nez à un système économique sur lequel nous n'avons aucun pouvoir puisque la générosité étatique nous a endettés collectivement depuis des générations ? Des études gratuites oui mais qui va payer ? Quelle qualité d'enseignement aurons-nous à n'engager que des professeurs à rabais ? Déjà les notes sont souvent gonflées artificiellement par les enseignants qui en ont reçu l'ordre pour soutenir l'image d'une institution laxiste ; quelle qualité de travailleurs sommes-nous en train de fabriquer ?

En fait, sous la révolte étudiante contre les frais de scolarité, se cache le reste de l'iceberg : c'est une révolution globale marxiste-communiste qui se profile. Gabriel Nadeau-Dubois en est le porte-parole :
« ... et je peux aujourd'hui vous transmettre le souhait, je crois, le plus cher des étudiants et des étudiantes qui sont en grève actuellement au Québec : c'est que notre grève serve de tremplin à une contestation beaucoup plus large, beaucoup plus profonde, oui, beaucoup plus radicale de la direction que prend le Québec depuis les dernières années. »
(Gabriel Nadeau-Dubois, Leader du mouvement étudiant CLASSE, 7 avril 2012 (7m12s))

Les étudiants québécois sont des citoyens qui jouissent d'un statut particulier comme aucun autre membre de notre société. Ils avaient bénéficié jusqu'ici d'une quasi-gratuité sans obligations ; constitués désormais en syndicat reconnu par les médias et les autorités administratives, ils peuvent faire pression comme aucun autre groupe n'a les moyens de le faire. Comme leur revendication initiale est justifiée par la Charte québécoise, ils disposent d'un poids énorme... tant que les médias leur seront favorables.

Mais le vent commence à tourner. Ce matin, trois écoles secondaires ont voté à leur tour pour la grève. Après tout ce sont ces élèves qui devront bientôt payer ; ne devons-nous pas tenir compte de leur point de vue ?

En réalité, le véritable gouvernement est les médias. Ils nous rapportent la INDEX de cette grève étudiante avec complaisance depuis  bientôt deux mois et, bons princes, ils ont encouragé la logique gréviste en sélectionnant les images et opinions comme pour jeter l'huile sur le feu. Ils ont bien sûr dénoncé les débordements mais, démagogie oblige, ils n'ont pas manqué de souligner la brutalité de l'antiémeute et de prêter généreusement leurs microphones à une jeunesse saturée de iPhone en quête de quelques minutes glorieuses. Ils vont maintenant reprendre les choses en main en faisant voir l'absurdité de ce mouvement poussé au bout de sa logique résistive comme s'ils enfonçaient le bras au plus profond dans la gueule du lion pour l'étouffer d'avoir voulu nous dévorer. Ils vont attirer notre regard sur d'autres évidences qui auraient pu être mises en avant dès les premiers jours et tout rentrera bientôt dans l'ordre, comme Jean Charest l'avait benoîtement prévu dès le départ.

En fait, pour négocier il faut avoir quelque chose à offrir ou alors de plus gros bras que l'adversaire. Comme les étudiants sont des citoyens privilégiés éduqués, langés, nourris, soignés et logés gratuitement depuis l'enfance ils sont plutôt redevables ; et, pour ce qui est des gros bras, les blessures d'un Léviathan invincible sont là pour rappeler aux plus téméraires qu'il faut davantage que des slogans pour gagner un affrontement musclé dont on peut d'ailleurs facilement s'esquiver en ne se croyant pas au-dessus des lois.

Au total, les étudiants auront eu quelques jours de gloire, une session de congé et en seront quittes pour devoir rattraper le temps perdu d'une grève stérile à leurs frais, pendant que les médias auront fait leurs choux gras d'une série de « nouvelles » croustillantes pour leur univers qui stagnait dans le fait divers d'une banalité mortelle.

Nous ne vivrons pas un nouveau mai 68. Les autorités ont appris des erreurs passées. Le Léviathan est plus fort que jamais (voir Hobbes). Sous le poids de la multitude, la démocratie est une chimère que l'on refuse de voir disparaître mais tous nous consentons paradoxalement à l'asservissement médiatique salutaire.

Sauf ceux qui sont nés avec une cuillère d'argent dans la bouche, nous obéissons tous aux mêmes règles. Le travail est notre lot à tous. Et chaque fois que nous achetons les biens de consommation qui remplissent inutilement nos maisons et notre temps, nous consentons à participer à l'ordre marchand qui régit tout. Et comme on n'a rien pour rien, les pays qui votent une loi pour imposer la gratuité obligatoire ne font qu'alimenter notre foi au Père Noël. La Charte est une liste de vœux pieux ; aucune nation ne respecte intégralement la Déclaration universelle des droits de l'homme, c'est bien connu ; et à plus forte raison en temps d'agitation sociale. La liberté est comme le prêt bancaire : on prête contre garantie ; on n'enlève la laisse qu'au chien docile bien dressé.

L'URSS avait fondé l'État sur un idéal analogue qui allait entraîner son effondrement économique après 75 ans de contrôle étatique tyrannique et meurtrier. L'Histoire n'est-elle pas là pour nous éclairer ? Nos jeunes étudiants croient en la gratuité parce qu'ils ont été élevés dans un monde de gratuité. Nous les avons tenus dans un état onirique ; le choc est brutal lorsqu'ils entrent dans le monde adulte. L'État qui leur a fait croire une telle chimère n'aurait-il pas mieux fait de les éduquer avec des principes plus réalistes ?

Tiens, pour faire ma part, je propose que l'on mette au programme la Fable du Petit Coq Rouge. À apprendre par cœur SVP. Récitation demain matin.

Philo5
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